COMMENT

Quelles caractéristiques retiennent les SEM?

Ces exemples sont représentatifs des systèmes que nous voulons étudier, à savoir des systèmes autorégulés, évolutifs, capables de gérer leurs interactions avec le milieu extérieur et de mémoriser leurs expériences pour une meilleure adaptation. De tels systèmes peuvent être dits vivants, et ils comprennent aussi bien des cellules, des organismes biologiques, que plus largement des systèmes écologiques, sociaux ou culturels.

Quelles sont les notions essentielles à introduire pour une modélisation de tels systèmes?

- L'état du système à un instant donné peut être vu comme une "photo" du système, montrant ses composants et les interactions entre eux à cet instant, qu'elles soient de type structurelle (déterminant la forme du système), ou de type fonctionnel permettant des transferts d'informations ou de contraintes. Avec une grande variabilité qualitative dans le niveau de complexité de ces composants, dans les liens assurant leur interconnexion horizontale et verticale, et leurs relations éventuelles avec d'autres objets externes au système, dans leur type d'activité spécifique au sein du système. Avec aussi une variabilité quantitative sur les observables qui mesurent la force et la durée des interactions.

- La structure et l'organisation du système, ainsi que ses composants, ne sont pas des invariants, mais peuvent évoluer au cours du temps. Les changements proviennent: des échanges internes entre objets et avec l'extérieur, par perte ou acquisition d'informations, d'énergie, de matière; de la dissociation de certains composants; de la formation de composants plus complexes.

Le système peut évoluer selon un mode naturel, dans le cadre du maintien de l'homéostasie. La structure globale ne varie pas bien que des objets soient renouvelés, des réparations effectuées; par exemple un comptable existera toujours dans une entreprise, bien que ce ne soit pas toujours la même personne. Mais si l'environnement varie et si les contraintes internes ou externes deviennent trop contraignantes, ils peut y avoir une rupture d'équilibre, à quel que niveau que ce soit, que de simples réparations ne peuvent réparer; nous parlons alors d'une fracture. Pour la surmonter, il faut une modification plus ou moins profonde de la structure, par création de nouveaux composants et liens complexes, avec émergence de propriétés nouvelles. Ceci sera modélisé par le processus de complexification verticale.

On pense dans le premier cas au simple renouvellement des macromolécules constituant l'architecture du neurone, dans le second cas aux liens synaptiques créés par un apprentissage par exemple. Ou dans le domaine social, au renouvellement de l'assemblée des députés par le vote, puis éventuellement aux modifications politiques d'ordre structurel mais aussi conceptuel que peut entraîner un changement de majorité.

La complexification verticale peut correspondre à un enrichissement de la hiérarchie du système, par formation de niveaux plus élevés permettant une mémorisation des expériences plus complexes, des mécanismes mis en jeu et de leurs conséquences immédiates ou prévisibles. - L'évolution est contrôlée de manière interne. Par suite de la trop grande variabilité des différents objets et groupes des différents niveaux, il ne peut exister de mécanisme régulateur central, à moins d'introduire un processus divin présent partout, à tous moments, à tous niveaux, à tous les temps/rythmes spécifiques. Il faut donc considérer un réseau parallèle d'organes de régulation internes (nous les appelons des corégulateurs ou CR), chargés d' "observer", analyser, évaluer et prendre des décisions; réseau parallèle horizontalement, aussi bien que verticalement dans la hiérarchie structurelle du système.

Chaque CR est un sous-système formé d'un petit groupe de composants d'un certain niveau de complexité, opérant ensemble par étapes à un rythme propre, utilisant des mécanismes de boucles, de feed-back ou de feed-forward. Sa spécificité d'activité entraîne une spécificité des stratégies qu'il pourra être amené à mettre en œuvre, en tenant compte des informations partielles provenant d'autres parties du système ou de l'extérieur (qui forment son "paysage"), des contraintes structurelles et temporelles auxquelles il est soumis, des résultats de ses expériences antérieures qui sont mémorisées pour une meilleure adaptation.

L'analyse de la situation sera très différente selon les CR. En particulier leurs temps propres sont par nature hétérogènes: si l'on considère une structure biologique, depuis ses atomes ou même ses particules jusqu'aux molécules, macromolécules, organites, cellules, organes et enfin l'organisme tout entier, chacun de ces niveaux hiérarchiques fonctionnera à son propre rythme; il faudra des temps incomparablement plus élevés pour renouveler toutes les cellules d'un organe que tous les atomes d'une chaîne protéique. On conçoit donc que chaque CR a sa propre stratégie. On ne saurait intégrer dans une même équation l'analyse du mouvement des particules dans les atomes des corps célestes et le mouvement de ces mêmes corps au sein de l'univers. Et pourtant l'on connaît le paradoxe du battement des ailes d'un papillon en Nouvelle-Guinée qui d'une certaine façon participe à la formation d'un cyclone sur les côtes de Floride.

- Pour expliquer de tels effets globaux, il faut bien comprendre que les stratégies choisies par les différents CR doivent être réalisées non sur leurs paysages respectifs mais sur le système même, où elles rentrent en compétition pour les ressources communes. Il s'instaure alors un processus d'équilibration entre elles (nous parlons du "jeu entre les stratégies"), non pas dirigé centralement, mais influencé par les forces et temporalités respectives des différents CR.

Si tous les choix sont harmonieux entre eux, ils sont réalisés de telle façon que l'ensemble du système maintienne au moins une certaine homéostasie, et éventuellement développe de nouvelles capacités. Si les choix ne sont pas tous compatibles entre eux, ce jeu va éliminer certaines des stratégies proposées, conduisant à une fracture pour les CR correspondants, qu'il faudra réparer ultérieurement, sous peine de dyschronie, s'il y a dépassement des possibilités de réparation, et donc de perte de l'homéostasie. Le vieillissement et la mort peuvent alors être interprétés comme une défaillance des mécanismes régulateurs ne permettant plus une telle adaptation.

En particulier, on observera une "dialectique" entre CR de niveaux et rythmes hétérogènes. En effet, une série de modifications d'un niveau inférieur peut n'être répercutée à un CR d'un niveau supérieur plus lent qu'avec retard, lui causant une fracture; pour la réparer, ce CR pourra imposer une nouvelle stratégie aux niveaux inférieurs, éventuellement même un changement de rythme. D'où le risque d'une "cascade" de dé/resynchronisations à des niveaux de plus en plus élevés, ce que nous avons proposé comme caractéristique du vieillissement d'un organisme.

- Le système est capable d'apprentissage et d'adaptation, grâce au développement d'une Mémoire centrale. Cette mémoire enregistre les expériences successives du système, les choix de stratégies par les CR ainsi que leurs résultats. Chaque CR participe à son développement, et l'utilise ensuite dans ses choix.

Dans le cas de systèmes plus complexes (comme le système nerveux d'un animal supérieur), il y aura de plus classification des traces retenues dans la mémoire, conduisant au développement d'une mémoire sémantique. Et celle-ci peut permettre la formation de CR plus performants, dotés de propriétés spécifiques telles que l'intentionnalité ou la conscience (cf. l'article sur la conscience dans Articles).

Avec quels outils?

Pour étudier ces problèmes, nous avons eu recours à la Théorie des Catégories, un sous-domaine des Mathématiques introduit par Eilenberg & Mac Lane en 1945. Cette théorie peut être vue comme un langage unifiant une grande partie des Mathématiques, en développant une notion générale de structure, de sorte que par exemple le passage d'un groupe à ses sous-groupes, ou d'un espace topologique à ses sous-espaces, ressortit de la "même" opération

Notre idée de base est que l'évolution des systèmes vivants, et en particulier du cerveau humain, repose sur un petit nombre d'opérations archétypes, qui sont exactement celles modélisables à l'aide de la Théorie des Catégories: Synthèse par agrégation d'objets élémentaires pour former des objets plus complexes (opération "colimite"); à l'inverse analyse par décomposition d'objets complexes; détection de l'identité d'un composant complexe malgré la suppression ou l'addition de certains de ses éléments (transformation progressive d'une colimite); mémorisation de nouveaux objets et leur reconnaissance ultérieure (comparaison avec une colimite et préservation d'une colimite); classification d'objets en classes d'invariance menant à la définition de concepts (représentés par une limite).

Les Systèmes Evolutifs avec Mémoire donnent un modèle mathématique des systèmes du type analysé plus haut, basé sur la Théorie des Catégories. Ce modèle constitue, grâce à une construction de nature principalement relationnelle et qualitative, un mode d'analyse à la fois local, général, évolutif et temporel. Il est développé dans une série d'articles (cf. liste des publications) à laquelle l'article "Systèmes Evolutifs à Mémoire" (cf. Articles) peut servir d'introduction.

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